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Réflexion Problèmes algéro-algériens

par Md Jnsplu 19 Avril 2011, 10:05 ghachi algerie politique



Par Nour-Eddine Boukrouh
Nous sommes les produits de notre histoire. Lorsque le colonialisme français s’est établi sur nos terres en 1830, et jusqu’en 1954, il a été combattu à peu près par tous les Algériens et presque sur tout le territoire national, mais séparément, sans coordination, sans utilisation optimale des hommes et des moyens. Sinon il serait parti plus tôt. Or, il est resté 132 ans.
L’émir Abdelkader, le bey Ahmed, El- Mokrani, Cheikh Al-Haddad, Boubaghla, Bouamama, ainsi que d’autres vaillants résistants, ont pris la tête de mouvements de révolte, mais sporadiquement et dans la dispersion. Aucun n’a pu compter sur une mobilisation dépassant les limites de sa tribu, de la confédération de tribus qu’il a pu réunir, ou de sa zone d’influence. Quand une ou plusieurs tribus se soulevaient, c’était leur affaire. Quand une région s’enflammait, c’était son problème. La seule fois où ils l’ont fait, c’était entre 1954 et 1962, encore qu’il y a eu plus d’Algériens sous l’uniforme français (100 000 harkis au bas mot), que d’Algériens sous l’uniforme de l’ALN (60 000 moudjahid entre l’intérieur et l’extérieur). Heureusement qu’il y a eu la grève des huit jours en janvier 1957 et les manifestations du 11 décembre 1960, c’est-à-dire l’entrée en scène du peuple grâce à qui les moudjahidine de l’intérieur ont d’ailleurs pu tenir, et le grand travail diplomatique réalisé par le GPRA. Bien sûr, les chaînes satellitaires, le téléphone portable et Facebook n’existaient pas, mais cela ne suffit pas comme explication. Un siècle plus tard, dans un autre contexte et pour d’autres raisons, c’était la même chose : 1980, 1988, 2002, 2011... Et ce sera peut-être aussi la même chose en 2050. Les Algériens ont rarement agi collectivement car ils ne vivent pas ensemble, mais côte à côte. Ils ne se sont levés ensemble, tous à la fois, comme un seul homme, ni avant 1954 pour défendre leur terre, ni après 1962 pour défendre leurs libertés parce qu’ils ne sont pas mus par un même sentiment de l’intérêt collectif, par une vision commune de leur avenir, par une conscience nationale au sens plein du terme. Ils sont socialement émiettés, politiquement éparpillés, et idéologiquement compartimentés. Pourtant, ils palpitent tous à l’unisson quand il s’agit d’un match de football où l’équipe nationale est engagée. Les autres peuples aussi, mais eux ce n’est pas que quand il s’agit de foot. Ils palpitent plus encore lorsque l’intérêt de leur pays est en jeu. Je ne veux pas m’attarder sur le passé, mais c’est lui qui nous poursuit. C’est pour cela que nous n’avons pas beaucoup changé. Aujourd’hui, il ne s’agit pas de livrer la guerre à un ennemi, mais de construire un avenir au pays. Il ne s’agit pas d’aller affronter la police dans la rue ou de brûler le pays, mais de produire des idées nouvelles, de formuler des propositions applicables pour le tirer d’affaire car il est dans une mauvaise passe. Prenons les personnages les plus connus parmi ceux qui animent la vie politique dans l’opposition : ne sont-ils pas dans la situation où étaient les chefs de tribus qui refusaient de coaliser leurs forces en vue d’un objectif commun ? Leurs partis n’évoquent-ils pas les tribus récalcitrantes devant le but commun ? Ils sont là depuis des décennies, les plus jeunes sont déjà sexagénaires et les plus anciens bientôt centenaires, mais ils sont résolus à ne rien faire ensemble. Avant d’être acculé à la démission, Moubarak disait à son entourage qu’il avait un doctorat ès entêtement. Nos hommes politiques, dans l’opposition ou la mésalliance présidentielle, sont des post-gradués ès khéchinisme. C’est ce qui explique qu’il y ait plus de maçons que de briques sur le chantier Algérie. Et les mouvements corporatistes qui se relaient ces temps-ci autour de la présidence de la République, n’évoquent-ils pas aussi les mouvements tribaux des siècles passés ? Tous les Algériens en âge de marcher et de recevoir des coups de matraque sont en train de manifester tour à tour pour revendiquer des droits, compréhensibles pour les uns, incompréhensibles pour les autres, mais séparément, les uns après les autres. C’est la seule chaîne qu’ils aient rigoureusement respectée de leur vie. Ils ne se sont pas levés pour demander une meilleure gouvernance du pays qui réglerait l’ensemble des problèmes selon une logique globale, mais pour arracher qui un statut particulier, qui une augmentation de salaire sectorielle, qui une solution spécifique à son problème. Or, l’intérêt général, l’intérêt de la nation à court et long terme, peut ne pas se trouver dans la somme des intérêts particuliers revendiqués. La satisfaction de toutes les revendications est de toute façon une chose arithmétiquement impossible. Les mouvements sociaux actuels ne visent pas à l’amélioration du fonctionnement de l’Etat pour obtenir en bout de course de meilleures politiques publiques, profitables à tous, mais à saisir l’opportunité par chacun d’entre eux pour arracher le maximum à un Etat à moitié sonné. Si le pouvoir est responsable, par son incompétence et son absence de vision à long terme, de l’accumulation des problèmes qui est devenue explosive, les différents segments du peuple qui manifestent actuellement ont tort de penser qu’en faisant plier le pouvoir devant leurs revendications fondées et infondées, ils vivront mieux. Ils vivront mieux quelques semaines, quelques mois, mais l’inflation et les mauvaises politiques dont ils n’ont pas exigé le remplacement par de meilleures auront vite fait de les ramener à la situation antérieure. Ces différents segments lancent avec fierté à la cantonade : «Nous ne faisons pas de politique, nous voulons juste obtenir nos droits sociaux !» Et le pouvoir, inconscient de la fausseté de ce qu’il prend pour de géniales trouvailles, est encore plus fier d’opiner : «Nous n’avons pas de problèmes politiques, mais seulement des problèmes sociaux.» Voilà donc les deux parties d’accord et prêtes à bondir à l’unisson sur quiconque soutiendrait le contraire. Pauvre d’elles ! Depuis Périclès et Aristote, n’importe qui sait que le mot «politique» vient de «polis», qui signifie «cité». Et que la politique, c’est la manière, bonne ou mauvaise selon le degré de compétence des dirigeants, de gérer les affaires de cette cité. Si les habitants d’une cité (au sens d’Etat, et non de cité Badjarah ou Diar- Echems), étudiants, chômeurs ou, à plus forte raison, fonctionnaires de l’Etat (enseignants, médecins, dentistes, cheminots, gardes communaux…) sortent dans la rue, qu’est-ce que c’est sinon un rejet des actes de gestion du pouvoir, de sa politique ? D’un côté, le gouvernement tient pour apolitique une contestation qui s’insurge contre ses décisions sans réclamer explicitement son départ. De l’autre, les segments de revendications pensent qu’il n’est pas nécessaire de changer de politique et des hommes politiques pour que leurs problèmes soient solutionnés. A un appel lancé pour une manifestation sectorielle, ou à un match, il vient beaucoup de monde. A un appel lancé pour une marche dédiée à la démocratie, il vient peu de monde, même s’il émane d’une initiative «citoyenne » comme on dit, car il est de mode de fuir comme la peste l’adjectif «politique». On a réussi le tour de force de séparer citoyen et politique. Certes, on ne vit pas de politique et d’eau fraîche, il faut du solide, mais le citoyen vidé de ses viscères, de sa conscience politique, n’est plus qu’un tube digestif. C’est le pouvoir qui a cultivé la méfiance du politique, le mépris des partis politiques, la haine du multipartisme, parce qu’ils sont les supports de la démocratie. Il a interdit la création de nouveaux partis, obligeant les citoyens qui ne se sont pas retrouvés dans les partis existants à rester en marge de la vie nationale, et empêchant le renouvellement des élites politiques. En dehors des partis administratifs, il ne voit qu’ennemis, trublions et assoiffés de pouvoir. S’il venait l’idée aux différents segments de la contestation de se constituer en formation politique, ils gagneraient toutes les élections et prendraient le pouvoir. Ils rassembleraient plus que le FIS en 1990. Seulement, une fois dans la place, ils ne devront pas rééditer le geste auguste d’Ali Benhadj présentant aux croyants son fils au stade du 5- Juillet, ou le président de la Corée du Nord présentant le sien au peuple. Ils ne devront pas non plus se comporter comme Ali Baba et les quarante voleurs, mais penser à toute la nation, à son présent et à son avenir. Si les émeutes sont le stade primaire de la politique, les revendications corporatistes en sont le stade secondaire. Il ne reste aux Algériens qu’un cran à monter pour devenir une puissance montante dans le monde de demain. J’y crois réellement. De nouveaux contingents de moudjahidine sont arrivés. Comme ils sont nouveaux, nombreux, et qu’il faut les distinguer des anciens, vrais ou faux, il faudra créer à leur intention un «ministère des Nouveaux moudjahidine». Quiconque, en effet, a fait un jour ou l’autre activement ou passivement quelque chose pour le pays, demande à passer à la caisse. C’était la règle, c’est devenu une «sunna». Qu’ils soient terroristes repentis ou victimes du terrorisme, qu’ils aient été combattants réguliers ou irréguliers contre le terrorisme, ils veulent un statut et une pension. Puis, à leur mort, leurs ayants droit voudront, suivant en cela l’exemple des «salaf», créer une «organisation des enfants des nouveaux moudjahidine». Voilà à quoi a mené le despotisme au nom de la «légitimité révolutionnaire » : au royaume où les problèmes seront éternellement rois. Et ce despotisme- là, ni le pouvoir ni le peuple ne pourra l’abattre. Il aura raison des deux. Bien souvent, le pouvoir arbore ses grands airs pour affirmer, sûr de ne pouvoir être démenti, que la liberté d’expression existe en Algérie, sous-entendant par là que cette liberté est à mettre à son actif, et que si des citoyens parlent, écrivent ou dessinent librement, notamment pour le critiquer, c’est justement l’un des nombreux acquis de son œuvre démocratique. S’il n’avait tenu qu’à lui, cette liberté n’aurait jamais existé. Il l’a trouvée en place et ne pouvait pas fermer les dizaines de journaux qui en sont les vecteurs. S’il n’a pas instauré cette liberté, il a par contre tout fait pour réduire les libertés arrachées en Octobre 1988 sauf celles qu’il n’a pas pu, et à leur tête celle-là. La liberté d’expression a profité au pouvoir qu’elle a auréolé et prémuni des attaques extérieures, plus qu’elle n’a profité à ses usagers. Elle lui a évité de mobiliser des forces et des moyens pour traquer les réunions secrètes, les mouvements clandestins, les auteurs de tracts… De toute façon, à l’âge d’internet et des sms, plus aucun pouvoir au monde ne peut empêcher les citoyens de s’exprimer. Les NTIC ont libéré la parole, comme l’âge industriel a libéré les esclaves. En écrivant ce que j’ai écrit jusqu’ici, ce n’était pas pour faire peur à quiconque. C’est moi qui avais peur, très peur que notre pays ne soit pris dans la tornade qui a happé de solides Etats et rasé des pays en entier sous nos yeux ébahis. Je scrute depuis quatre mois les peuples, observe leurs dirigeants, écoute ce qui se dit, suis les émissions, lis les analyses… Au fur et à mesure, l’impression s’est formée en moi que si cela devait arriver chez nous, ce serait plus terrible, des deux côtés, peuple et pouvoir. On peut bloquer une marche de quelques centaines de citoyens et de citoyennes civilisés en déployant 30 000 policiers. On peut stopper 10 000 étudiants à quelques mètres des portes de la présidence de la République parce qu’ils sont venus demander le départ du ministre et non du président. Mais on ne peut pas arrêter avec des canons à eau, des matraques et du gaz lacrymogène 100 000, 300 000 ou 500 000 personnes demandant le départ de tout le pouvoir. Il faudra déployer toutes les forces armées du pays et tirer, blesser et tuer. A partir de là, plus rien ne pourra être arrêté, il y aura des millions de gens dans les rues et les places, à Alger et partout ailleurs. On est loin des conditions d’Octobre 1988, le monde a changé et les peuples ont énormément changé depuis quatre mois. C’est le temps de l’intelligence, de la sagesse, de l’anticipation, et non de la matraque, de la force, du sang. Dieu merci, il semble que toute lumière ne se soit éteinte dans le royaume puisque des réformes sont annoncées. Il va s’agir de faire en une année ce qui n’a pas été fait en douze. Ou, pour être plus précis, le contraire de ce qui a été fait en douze ans. Car, à part les logements mal finis, l’autoroute cahotante mais constamment surévaluée, la dette remboursée avec la seule petite monnaie des recettes d’hydrocarbures, le pays a été gravement démotivé et l’économie complètement bloquée. Encore que tout dépend du contenu de ces réformes et de ceux qui en auront la charge. Si ce sont les mêmes, la lueur vacillante aura vite fait de s’évanouir. Il y a donc une chance de nous en tirer à meilleur compte que nos frères Arabes. Ils ne nous ont pas aidés quand nous étions en enfer, dans les années 1990, mais qu’y pouvaient- ils ? Ils ployaient sous le despotisme. Ce sont leurs despotes qui se délectaient de nous voir rôtir dans le feu de la «fitna démocratique», pas eux. Si ça marche pour nous, il faudra quand même penser à dire merci à Mohamed Bouazizi et à M. Harimna.
N. B. 


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