Aussitôt fait, aussitôt appliquée. La loi
restreignant le droit de manifester promulguée par le président égyptien
installé par l'armée est entrée en application. Brutalement. Une première
manifestation a été réprimée. La justice égyptienne, aux ordres, a ordonné
l'arrestation d'Ahmed Maher, chef du Mouvement de jeunes du 6 avril et Ala
Abdelfatah, coupables d'avoir défié la nouvelle loi restreignant la liberté de
manifester. L’Égypte est sur la feuille de route du général.
Ceux qui défendent l'idée qu'un coup d'Etat contre un
président élu islamiste est «démocratique» n'en finiront pas de déchanter. Les
appareils sécuritaires égyptiens qui avaient été mis en accusation par la vague
contestataire prennent aujourd'hui leur revanche
On connaît l'histoire, arabe,
du taureau noir qui découvre, tardivement, qu'il avait été mangé au moment même
où il avait accepté que le taureau blanc soit croqué. Ceux qui croient que
leurs libertés seront préservées alors qu'on bafoue celles de leurs adversaires
politiques présumés se trompent toujours. Les libertés - et les règles qui vont
avec - ne peuvent être à géométrie variable. C'est un engrenage classique où
ceux qui approuvent les atteintes aux droits de leurs adversaires finissent par
les subir à leur tour. L'argumentaire qu'ils avancent - pour justifier la
répression féroce des Frères musulmans - se retournera fatalement contre eux.
Le coup d'Etat du général Sissi ne pouvait se limiter
à faire sortir les FM du pouvoir pour les mener vers la prison. Il devait
«effacer» l'ensemble du processus qui a ébranlé l'ordre autorité afin de le
rétablir dans sa plénitude. Ce processus, nécessairement chaotique face à un
système autoritaire fortement incrusté, des démocrates, des libéraux, des
militants de gauche et des islamistes y ont participé. Même s'ils n'avaient pas
les mêmes idées, ils étaient dans le même mouvement. Le taureau blanc, les FM
en l'occurrence, étant tombé - en résistant d'ailleurs par des manifestations
incessantes- ce n'était plus qu'une question de temps pour que les autres,
ceux qui ne rentrent pas dans le rang, soient à leur tour mis au pas. La
restauration autoritaire ne peut qu'être pire que du temps de Moubarak qui
avait concédé quelques marges
Des ONG de droits de l'homme parlent «d'approche
oppressive» et de remise en cause des acquis de la révolution populaire de
2011. Mais en réalité il n'y a pas d'acquis, ni d'irréversibilité. A plus forte
raison quand des présumés démocrates, des libéraux ou des organisations de
gauche contribuent, par le discours, au rétablissement de l'ordre autoritaire au
nom de l'anti-islamisme. Un militant de gauche très actif sur la place Tahrir a
fait le constat le plus terrifiant qui soit : des gens ordinaires ont appelé la
police pour les attaquer. Seuls les naïfs peuvent penser qu'un rouleau
compresseur contre les libertés peut faire des distinctions.